Échelle de rythme et performance en football : What did you expect?

Peu coûteuse, facile d’utilisation et permettant de réaliser une multitude d’exercices l’échelle de rythme est un outil ultra populaire dans le football. On l’utilise aussi bien dans la préparation physique (collective et individuelle) qu’en réathlétisation. On lui vante les mérites d’améliorer l’agilité, la vitesse gestuelle, parfois même l’explosivité, la vitesse de course ou encore la technique (au sens de l’utilisation du ballon). Mais que peut-on vraiment attendre de l’échelle de rythme ? Quels sont les effets sur les performances en football ? Quels sont les critères de réalisation déterminants pour espérer un transfert vers les exigences du football ? 

Qu'en dit la science ? Une question de niveau ?!

Chez des joueurs entraînés

À ce jour, aucune étude n’a été réalisée chez des joueurs de haut ou bon niveau en football. Des données scientifiques nous permettent néanmoins d’avoir un avis sur les effets de l’échelle de rythme sur les performances.
Une étude a été réalisée chez des joueurs U13 (ref 1). Pendant 6 semaines, les joueurs ont réalisé 3 séances de 45 min en plus de leurs 3 entraînements  hebdomadaires habituels. Les exercices étaient progressifs en difficulté. Les paramètres mesurés étaient la vitesse sur 10 et 20 m, la conduite de balle sur 30 m, la conduite de balle sur espace réduit, l’agilité dans les déplacements. Pour l’ensemble des paramètres, le groupe ayant réalisé les séances supplémentaires à l’échelle de rythme n’a pas progressé davantage que le groupe ayant fait que les 3 séances de football habituelles. Cette étude est interessante, car sur des joueurs U13 nous imaginions que leurs possibilités d’adaptation soient supérieures à des adultes. Or, non ! Même sur ce public, l’échelle de rythme n’a pas eu d’effet sur les paramètres mesurés.

 

D’autres données vont dans le sens d’un impact limité sur les performances. En effet, une étude pilote a été réalisée chez des joueurs et joueuses de volley-ball de haut niveau (ref 2). L’entraînement à l’échelle de rythme a été comparé à un entraînement sur le jeu “Just Dance”. Les résultats montrent que l’échelle de rythme est moins efficace que “Just Dance” pour développer l’agilité.

Chez des personnes peu ou pas entraînées

En revanche, chez des personnes ayant un faible niveau sportif ou des enfants, faire un entraînement à l’échelle de rythme va être efficace (ref 3, 4, 5). A titre d’exemple, une étude a été réalisée chez des étudiants d’une école d’ingénieurs indienne, jouant au football en loisir.  Leurs performances physiques et leurs données anthropométriques témoignent du faible niveau. L’entraînement à l’échelle de rythme (3 x par semaine pendant 8 semaines) a amélioré leur vitesse, leur détente verticale et leur agilité. Chez des enfants, un programme d’échelle de 6 semaines a aussi amélioré l’équilibre dynamique. 

Quelques explications !

Pour les aspects physiques

Une question fondamentale permet d’anticiper l’efficacité d’une méthode d’entraînement. Est-ce suffisamment stimulant par rapport à ce que j’ai l’habitude de faire et par rapport à ce que mon corps est capable de faire ? Ainsi les exercices à l’échelle de rythme sont-ils une stimulation suffisante pour développer l’explosivité ? La réponse est clairement NON chez des joueurs s’entraînant déjà régulièrement ! La plupart des exercices sont insuffisants en termes de charge pour induire des adaptations chez le jeune footballeur. On peut donc extrapoler son manque d’efficacité à des joueurs seniors encore plus entraînés. 
D’ailleurs, une étude réalisée chez des joueurs professionnels (ref 6). Elle montre qu’un exercice d’échelle de rythme fréquemment utilisé (Icky Shuffle drill) génère des niveaux d’explosivité bien plus faibles (3x moins) qu’un exercice avec des appuis plus larges (bonds diagonaux alternés). Ainsi, la grande majorité des exercices d’échelle induisent des niveaux d’explosivité qui sont loin de ceux qu’on va retrouver sur les séquences intenses de match. Utiliser l’échelle de rythme pour l’explosivité, en terme d’intensité, c’est un peu comme si vous faisiez un footing pour développer votre vitesse maximale de sprint. 

 

Aussi, les exercices d’échelle de rythme se font dans des espaces très réduits et avec une faible vitesse horizontale par rapport à ce que l’on peut avoir dans le jeu. Les actions musculaires des chaînes postérieure, antérieure et latérales sont relativement faibles par rapport à des actions intenses de match. Il est ainsi très douteux de penser qu’on va améliorer la vitesse de sprint ou les changements de direction avec une échelle chez des joueurs qui subissent des actions plus intenses. 

Vous allez me dire mais certaines études montrent des résultats positifs. Oui sur des personnes de faible niveau ! Quand on entraîne à minima quelqu’un de faible, on va le faire progresser presque indépendamment de la méthode.

Pour les aspects techniques

Abordons le principe de spécificité. Le principe de spécificité est fondamental dans le développement de qualités physiques mais aussi techniques. A quoi correspondent les appuis induits par l’échelle de rythme par rapport à ce qui se passent dans le jeu ? À notre sens, les exercices d’échelle de rythme ne sont pas suffisamment spécifiques. En effet, dans le jeu, l’ajustement des appuis sur les différents gestes techniques se fait en réponse à une trajectoire de balle et/ou par rapport à la lecture d’espaces, des actions des partenaires et des adversaires. Les exercices d’échelle de rythme sont trop pauvres en terme perceptif. Ils induisent parfois même de mauvais comportements (voir le paragraphe sur la position du regard). De plus, les exercices où le ballon est inclus ne collent pas à la réalité du jeu. C’est davantage le lanceur qui s’adapte à la position du joueur que le joueur lui-même qui s’ajuste à la trajectoire du ballon. Enfin, en situation de jeu, les appuis que les différents gestes techniques génèrent sont souvent beaucoup plus larges que ceux induits par les exercices d’échelle de rythme. À notre sens, ils sont ainsi trop éloignés de la réalité du jeu pour espérer une amélioration directe de la technique. 

Ok donc on arrête l'échelle de rythme !?

Non ! Ne mettez pas votre échelle de rythme au placard ou à la poubelle ! Tout est question d’objectif ! L’échelle peut avoir de nombreuses autres utilités.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’intensité d’un point de vue neuromusculaire est relativement faible. On est sur de la plyométrie très basse, encore modulable en terme d’intensité et complexité. Les exercices d’échelle de rythme peuvent donc être utilisés en échauffement avant de passer sur du travail d’appuis plus intenses ou des jeux à plus haute intensité neuromusculaire. Le contrôle que permet l’échelle de rythme est aussi idéal en phase de réathlétisation ou en phase de reprise. Elle peut aussi être utilisée dans un circuit de motricité à objectif général aérobie pour amener de la variété dans les appuis tout en contribuant à la dépense énergétique.  

L’échelle de rythme génère des appuis réduits (voir très réduits) avec une haute fréquence. Ces exercices peuvent être introduits au sein d’un atelier combinés par exemple à de la plyométrie plus haute, des sprints ou des changements de direction pour travailler la capacité d’adaptation
En ce sens également, l’échelle de rythme permet de travailler des paramètres de la coordination générale notamment chez les jeunes.  Par exemple, le paramètre “rythme” va être sollicité en utilisant les cases comme repères de changement. On alterne “cases rapides”/”cases lentes”/”cases rapides”…   L’équilibre quant à lui peut être renforcé par du travail à un pied avec, ou sans temps de blocage sur les réceptions et en utilisant les cases pour amener de la variété en terme de direction.

De l'échelle si vous voulez mais avec de la qualité s'il vous plait !

Lorsque nous observons des exercices d’échelle de rythme (réseaux sociaux, confrères peu expérimentés…), nous sommes (trop) souvent frappés par le manque de qualité dans l’exécution des exercices. Il existe pourtant des critères de réalisations fondamentaux non négociables vis-à-vis à des exigences du football. 

La position du regard

Rappelez-vous, le football est une activité avec énormément de paramètres à percevoir dans le jeu. Cela nécessite que le regard soit relativement horizontal (“tête haute”) et rotatif. L’échelle de rythme est au sol et spontanément les joueurs vont avoir le regard orienté vers le sol. Cela facilite le pilotage de leurs appuis. Une fois l’échelle de rythme et l’exercice intégrés, il est impératif de décentrer son regard du sol. On ne regarde plus l’échelle.  L’objectif est d’être capable de “piloter” ses appuis tout en percevant l’environnement au loin. L’ensemble tronc + tête va être reverticalisé. On va alors pouvoir enrichir l’exercice. On peut ajouter des contraintes perceptives (ex : couleurs à percevoir) induisant un comportement (ex : changement de gamme à l’échelle). 

L'utilisation des bras

On observe souvent une absence d’utilisation des bras (collés au corps) ou une utilisation frénétique, mais en faisant partir le mouvement du coude. Dans une première intention, nous recommandons un mouvement fluide qui part de l’épaule et non du coude. Ensuite, on pourra augmenter le niveau de coordination en dissociation par exemple l’action des deux bras. 

La pose et la precision des appuis

Sur les exercices dynamiques, on va chercher des appuis à haute fréquence. Cela implique que la zone d’appui se fasse sur l’avant-pied. On profite ainsi de la réactivité de la cheville. Le pied ne “s’écrase pas dans le sol” mais “repousse le sol”. La réalisation d’un exercice complexe à haute fréquence requiert néanmoins de la précision dans la pose des appuis. Si vous commencez à marcher sur toutes les lattes de l’échelle, réduisez la fréquence des appuis. On recherche de la maîtrise dans les appuis. 

une complexité bien dosée dans la prescription des exercices

 Lorsque l’objectif est de développer la coordination, on recherche un niveau de complexité optimale pour être stimulant. La recherche de maîtrise des appuis ne signifie pas réussir 100% des passages à l’échelle, même si en terme de concentration, c’est ce que l’on vise. L’idée est de proposer des exercices de plus en plus complexes. On va jouer sur les différents paramètres de la coordination (rythme, orientation, dissociation, différenciation…) et de la perception. Si l’objectif est un échauffement (pour mettre le joueur en confiance), on favorisera des exercices maîtrisés. Cela permettra aussi d’avoir de la continuité dans le début de séance pour répondre aux objectifs physiologiques de l’échauffement. 

Conclusion

Si l’échelle de rythme est facile d’utilisation, elle ne (re-)développe que dans la limite de sa capacité à stimuler le joueur. Ainsi, nous ne la recommandons pas si l’objectif est de développer des paramètres de force, explosivité, vitesse, agilité spécifique, chez des joueurs déjà correctement entraînés. En revanche, sur des phases non spécifiques, en échauffement ou en réathlétisation elle peut avoir du sens. L’objectif d’entraînement et le niveau du joueur sont donc importants à considérer dans la prise de décision de l’utilisation d’exercices d’échelle de rythme.
Attention, par rapport à son manque de spécificité devenir “bon à l’échelle de rythme” ne vous rendra pas forcément meilleur au football. Que ce soit pour les aspects physiques (force, explosivité, vitesse, agilité spécifique) ou technique, de nombreuses autres méthodes d’entraînement sont plus impactantes que l’échelle de rythme. Nous y reviendrons dans de prochains articles. 

Dr. Nicolas GRAVISSE
Alexandre Kopp
Andréa Filhastre

Bibliographie