Chicha et football : les performances et la santé partent-elles en fumée ?

Souvent considérée comme une alternative “saine” à la cigarette, mais aussi comme un moyen de détente, la chicha est désormais largement répandue dans le milieu du football. Certains footballeurs professionnels sont d’ailleurs des consommateurs (réguliers ou ponctuels ?) et contribuent à la populariser (exemple). Pourtant, le narguilé semble être perçu comme une réelle menace pour le football de haut niveau. En ce sens, des clubs comme l’AS Monaco ou l’EA Guingamp font de la prévention par des affiches ou des séances de sensibilisation

D’un côté, la chicha est donc considérée comme une alternative “saine” de l’autre comme une menace. Mais quels sont les effets réellement démontrés de la chicha sur les performances et la santé ? 

Comparaison cigarette vs. chicha

La chicha est-elle vraiment plus saine, moins toxique que la cigarette ? La réponse est définitivement NON ! A titre d’exemple, de nombreuses études ont comparé l’effet de fumer une cigarette vs. une session de shisha (ref). Voici quelques résultats plus que parlants : 

  • le nombre et la taille des nuages de fumée sont beaucoup plus importants avec la shisha qu’avec la cigarette. Ainsi, on inhale en moyenne 123 fois plus de fumée avec une session shisha qu’avec une cigarette. 
  • l’inhalation de nicotine est environ 2 fois supérieure et celle de goudron environ 25 fois avec la shisha comparée à la cigarette
  • l’inhalation de monoxyde de carbone est environ 10 fois supérieure avec la shisha
  • le taux de monoxyde carbone fixé à l’hémoglobine (molécule qui permet le transport d’oxygène) est presque 3,75 fois supérieur avec la shiha (ref)
  • pour de nombreux autres composés toxiques (métaux lourds par exemple), la shisha en contient autant voir de plus que la cigarette (ref)
A noter que de nombreux composants de la shisha induisent aussi de la dépendance. Aussi, les préparations “sans tabac” contiennent tout autant de substances toxiques (mis à part la nicotine) (ref).

Quels effets sur les performances ?

A ce jour, aucune étude n’a été réalisée dans un contexte sportif. En revanche, de nombreuses données nous permettent d’avoir un aperçu des effets négatifs sur la performance. En ce sens, il est largement démontré que l’utilisation régulière de la chicha induit une dégradation de la fonction pulmonaire. Les jeunes adultes à priori en “bonne santé” n’y échappent pas. Cela se traduit par des performances en endurance réduites (ref). Aussi, les fumeurs de shisha ont plus de problèmes respiratoires et une fatigue musculaire plus précoce à l’effort. En extrapolant à la pratique du football, la capacité à répéter des efforts intenses et la récupération à court et moyen termes seront altérées. 

Concernant les fonctions cognitives, des études montrent que les fumeurs de shisha présentent de moins bonnes performances comparés à des non fumeurs (ref). Aussi, les performances sont altérées après une seule session de shisha (ref).  En effet, les fumeurs présentent un niveau d’attention/concentration, un temps de réaction, et une mémorisation dégradés. L’ensemble de ces facteurs cognitifs sont déterminants pour la performance en football et l’apprentissage. 

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Pourquoi ces effets néfastes sur les performances ?

Les différents composés présents dans la fumée sont toxiques pour différentes cellules de notre organisme (neurones, cellules pulmonaires…).  L’ADN de nos cellules semble être plus maltraité avec la shisha qu’avec la cigarette (ref). Aussi, le monoxyde de carbone, en se fixant sur l’hémoglobine, empêche l’oxygène de s’y fixer. Nos différents organes (dont les muscles et le cerveau) sont donc moins bien alimentés en oxygènes. Ils fonctionnent donc moins bien. L’exposition à ces composés toxiques a aussi des effets négatifs sur la santé à court et long termes. 

Quels effets sur la santé ?

A court terme 

L’action toxique sur nos cellules se produit dès la 1ère session shisha (ref). Notre système nerveux devient moins flexible, moins adaptable (ref). Les fonctions cardiaque et pulmonaire sont perturbées après seulement 15 min de shisha (ref 1, ref 2). Aussi, des empoisonnements au monoxyde de carbone ont été rapportés y compris chez des enfants et des adolescents (ref 1, ref 2). Dans 75% des cas, la personne s’est évanouie (ref). On relève aussi des atteintes respiratoires graves  (ref). Enfin, les sessions shisha (souvent collectives) pourraient favoriser la transmission de la COVID-19 (ref).

A long terme 

Selon de nombreuses études, fumer la shisha (et parfois être simple fumeur passif) favorise l’apparition de diverses maladies. En effet, comparés à des non-fumeurs, les fumeurs réguliers de chicha ont plus de chance de développer des maladies respiratoires, des pathologies du coeur et des vaisseaux, ou encore des cancers (bouche et poumons). Fumer la chicha favorise aussi l’apparition de maladies mentales (dépression, troubles du comportement alimentaire et du sommeil, troubles de l’attention, addiction) (ref). 

Conclusion

Ainsi, la shisha est plus toxique que la cigarette, induit des effets néfastes sur les performances et la santé à court et long terme. Il est donc urgent  de réguler sa pratique et d’informer, éduquer, prévenir les joueurs de football (notamment les jeunes) de ses dangers. En ce sens, nous saluons les actions de sensibilisation et prévention menées au sein de l’AS Monaco et l’EA Guingamp. Nous encourageons l’ensemble des clubs et fédérations, à commencer par les pôles espoirs, centres de formation et équipes professionnelles (les vitrines de notre sport à différents niveaux) à suivre l’exemple de ces clubs. 

D’un point de vue scientifique et préventif, il semble nécessaire d’explorer davantage le “phénomène shisha” dans le football amateur et professionnel, chez les adultes mais aussi les jeunes. Des paramètres comme le pourcentage réel de consommateurs, la fréquence d’utilisation, la durée, le contexte des sessions et les motivations sont importants à connaître. Cela  permettra de mieux cerner l’ampleur du phénomène et donc de mieux organiser la prévention. 

Enfin, les joueurs évoquent souvent les notions de plaisir, récompense ou de détente par l’utilisation de la shisha. Chez Perf in Football, nous recommandons à nos joueurs de trouver un équilibre entre vie “footballistique professionnelle” et activités “plaisir et détente” hors foot. Cependant, il existe bien d’autres moyens, plus sains, pour atteindre cet objectif.

Dr. Nicolas GRAVISSE